What’s Up sur « Waxx Up » ?

 En ce 6 mars 2017, nous avons la chance de nous poser pour discuter un peu avec Eric Legnini de « Waxx Up », ce nouvel album à part dans son parcours.

 Musiculture : Peut on dire ceci : Eric Legnini se fait vraiment plaisir avec une musique qu’il apprécie depuis longtemps ?

 Eric Legnini : En fait, c’est une combinaison de deux choses. C’est sûr, je me suis fait plaisir avec cet album. J’ai vraiment été dans une direction de musiques black que j’aime et que j’écoute depuis longtemps. J’ai pris deux, trois claques avec Anderson Paak, le Kendrick Lamar, des albums qui m’ont vraiment marqué alors que j’étais dans le processus d’écriture pour mon album. Il y a donc des connections avec le jazz mais aussi avec le hip-hop, la soul, influences importantes. Et puis je voulais une évolution avec mes albums précédents. Il y a une vraie volonté de changer le son.

 M : Album plus mature ?

 E.L. : Oui, c’est peut être prétentieux de ma part de le dire mais c’est plus mature. J’ai de moins en moins peur de sortir des sentiers battus, du jazz et d’une musique acoustique qui me colle un peu à la peau et c’est normal. Pourtant, ça fait très longtemps que je produis des albums dans cette veine pour les autres mais là, c’est la première fois que je sors de ma marque de fabrique pour toucher à la soul, au hip-hop, à l’electro. Encore une fois, ce sont des musiques que j’aime et que j’écoute depuis longtemps.

 M : Pourquoi ces invités là ?

 E.L. : Michelle Willis, j’aime cette voix teintée de folk mais où la soul n’est jamais très loin. Sur son album solo, elle joue de la folk très acoustique. Mais son timbre permet d’aller vite vers la soul. Quand j’ai vu ce qu’elle faisait avec les Snarky Puppy à « la Cigale », son grain, son attitude, sa personnalité m’ont beaucoup plu. J’ai senti que je pouvais facilement l’amener dans mon univers. Je lui ai confié plus de chansons parce que je trouvais le résultat vraiment intéressant. C’est elle qui sera sur les concerts dès que j’aurais beaucoup de dates. Elle habite New-York donc je ne peux pas la faire venir pour un ou deux concerts. Mais sur une tournée, ce sera elle.

 Charles X, j’avais beaucoup aimé un de ses clips d’animation sur un titre soul assez minimaliste. J’ai pensé que ça pouvait coller. Rencontre, il est venu dans mon studio et voilà.

 Ensuite, Yael Naïm est une amie de très longue date. J’ai assuré le piano sur tous ses albums, on a joué sur scène ensemble, bref ! Une amie. Elle a aimé mon changement de cap. Elle même pensait à plus d’electro pour son prochain disque. J’avais des titres prêts pour elle. On a échangé régulièrement. C’est un des résultats de nos collaborations.

 M : Vous avez travaillé comme ça avec tout le monde ?

 E.L. : Il y a un gros travail de pré-production effectué seul. On a travaillé la musique avec des voix témoins et ensuite, enregistrement des voix définitives dans mon studio. Par exemple, avec Michelle Willis c’est une semaine de travail. Mais il n y a jamais eu d’enregistrement avec tous les musiciens au même moment. 

 Mathieu Boogaerts, Je ne le connais pas aussi bien que Yaël mais on s’est croisé très souvent. Il est régulièrement avec Renaud Letan qui a racheté les studios « Ferber » où je suis de temps en temps. On a beaucoup discuté et il y avait déjà eu des tentatives pour bosser ensemble. Et là, il a chanté en anglais pour la première fois. Une bonne surprise parce qu’il s’est complètement approprié la chanson et c’est très différent de son style habituel. Au final, je trouve que son titre s’incruste très bien dans l’album.

 M : Ce qui est hallucinant, c’est très cliché ce que je vais dire, mais c’est que vous obtenez un pur son soul « black » avec des artistes presque tous blancs !

 E.L. : Oui, tout à fait et c’est pas du tout cliché. Mais c’est vrai que la chanson de Mathieu, très Stevie Wonder années 70 avec des accords très très jazz, est bien à contre-pied. Un artiste pas forcément soul qui s’en sort parfaitement dans l’exercice. Il propose un titre radicalement différent de ce que ça aurait pu être avec un Gregory Porter par exemple. 

 Ensuite, Hugh Coltman est un super pote de mon cercle proche. On a déjà travaillé ensemble et je suis vraiment à l’aise pour écrire en studio avec lui, sur les mélodies surtout. Comme j’avais besoin de maquettes solides, bien ficelées dès le début, je lui ai confié énormément d’écriture. On a également décidé de la direction artistique du projet ensemble.

 M : Ah bon ! il a écrit beaucoup de titres ?

 E.L. : Oui, « I want you back » et « Living For Tomorrow », c’est lui. « Night Birds », le titre de Boogaerts, encore lui ainsi que « The Sun Will Dance » où il chante aussi. Il m’avait apporté une écriture pour « Run With It » que Charles X a complètement remanié pour le signer finalement.  Michelle Willis a également écrit deux chansons.

 M : C’est marrant ce rôle de Hugh Coltman qui vient comme vous du jazz pur, non ?

 E.L. : Alors, il est aussi très branché blues et pop. J’ai réalisé son dernier album, l’hommage à Nat King Cole qui est son premier vrai album 100% jazz. Mais je ne pense pas qu’on puisse dire qu’il vient du jazz. Il adore ça et le chante extrêmement bien mais ce n’est pas sa base. c’est un chanteur de blues à proprement dit.

 M : Ma remarque était plus pour souligner qu’il ne vient ni de la soul ni du hip-hop…

 E.L. : oui, mais je trouve qu’il la chante très bien. Et comme je vous le disais tout à l’heure, c’est un peu ma manière de faire. Entrainer des artistes là où à priori ils ne sont pas le plus à l’aise, ailleurs.

 M : L’écoute de cet album fait écho à tant d’artistes. J’entends de la soul des 70’s, l’ambiance de la B.O. de « the Get Down » (« The Wire »), de l’electro, Du Fela et du Tony Allen (« Lagos 75 »), Quelles sont vos influences exactement ?

 E.L. : J’ai un peu écouté tout ça. Je suis un boulimique de musique. J’aime fouiller pour trouver des bons vinyls. J’ai la culture des vinyls rares « underground » que ce soit dans le jazz, la soul ou d’autres musiques. Des le début, j’ai grandi avec plein de musiques différentes. Ma mère étant chanteuse, cantatrice, j’ai grandi avec Puccini, Bach, Haendel, Brahms…En même temps, mon père c’était Hendrix, les Beatles, Sly & the family Stone, James Brown…Des musiques radicalement différentes qui cohabitent bien. C’est toujours le cas. J’ai fait du classique puis très vite du jazz. Dans le jazz, j’adorais Coltrane et le jazz classique. A l’adolescence, je suis dans des groupes de funk donc Sly, Herbie avec les headhunters…Beaucoup de mélanges. Au final, aujourd’hui, je vais écouter radiohead, chet Baker…La musique je l’entends comme ça. Des sons différents qui arrivent à cohabiter mais avec une ligne directrice, une cohérence. Fela, un délire fender rhodes, « The Wire » genre Brad Mehldau et un jazz plus intellectuel acoustique mais avec de l’electro…C’est un peu comme ça que je fonctionne.

 M : Niveau matériel et surtout claviers, vous utilisez quoi ?

 E.L. : Je me suis vraiment pris la tête sur la production, le son. J’ai la chance d’avoir mon studio et donc de travailler sans la pression de l’argent ni celle du temps. J’ai énormément de vieux synthés, des classiques des années 1970 comme prophet 5, mini moog, oberheim…Une partie du son de l’album est donc très analogique. J’ai aussi pris du temps pour jouer du wurlitzer que j’aime bien, le clavinet avec pédale ou sans donc plutôt wah-wah. J’ai aussi de vieux orgues 60’s et 70’s trafiqués pour un son organique. Et à côté de ça, des synthés plus modernes.

 M : « The Wire » sonne plus « moderne », moins « vintage » ?

 E.L. : Oui, sur « the Wire », j’ai un G2 et des machines qui ont juste 15 ans mais déjà classées « vintage ». Voilà. Et évidemment beaucoup de rhodes. Tout ça pour casser un peu avec le piano acoustique, marque de fabrique de mes albums précédents. Pour celui-ci, je voulais vraiment un son plus électrique.

 M : Pochette et titre d’album, un hommage au vinyl ?

 E.L. : Oui, je travaille avec le même graphiste depuis le début. « Waxx », référence à tout ce qui touche au vinyl et « waxx up » allusion à « What’s up ». En studio, je pouvais écouter de la soul mais aussi du Bjork, du Dylan dont je suis un gros fan, du Herbie…Il y a un processus d’écoute de mes sources d’inspiration. Sur certains titres, il y a un morceau précis utilisé que j’ai déformé à la base mais tout est joué. Il n y a pas de sample. Quelques petits solos à gauche et à droite, des progressions dans les rythmiques, harmoniquement c’est assez riche, on garde quand même un pied dans le jazz avec ces éléments mais le son général est bien plus soul et hip-hop.

 M : Dernière question : A l’écoute, « Run With It » sonne vraiment comme une chute de « Red & Black Light » (album d’Ibrahim Maalouf). Est-ce le cas ?

 E.L. : Non, ce n’est pas une chute. C’est un morceau que j’ai composé bien en amont, longtemps avant ma collaboration avec Ibrahim. Cet album regroupe des titres constitués sur deux ans. « Run With It » faisait partie de la première série, avant que je ne travaille sur « Red & Black ». Mais je crois qu’Ibrahim a fait appel à moi pour mon traitement particulier du fender rhodes, un type de son en référence aux années 1970. Et le son du fender sur ce titre est orienté de la même manière que sur « Red & Black », d’où votre impression.

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Christophe Augros

photo d’Eric Legnini (haut de page) : Philip Ducap

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