Billie Holiday : Diamant Brut.

billie holiday Elles sont nombreuses les icônes fauchées par leurs excès dans l’histoire de la musique. De Janis Joplin à Amy Whinehouse en passant par Kurt Cobain. C’est assurément une part indissociable de leur légende, donnant naissance à une multitude de questions quant à ce qu’elles seraient devenues aujourd’hui « si »… Billie Holiday fût l’une d’entre elles et pas des moindres.

Une chérubine violemment arrachée à son enfance, la prostitution dès son plus jeune âge, la drogue et l’alcool en toile de fond, la prison, des amants maudits en pagaille (de ceux qui l’ont dépouillé de ses royalties à ceux qui l’ont poussé toujours plus loin dans ses addictions) : chaque intersection de sa vie semble marquée par de profondes cicatrices.

S’il fallait une métaphore, celle du torrent me semblerait parfaitement adaptée. Une carrière (trop) rapide, irrégulière, sur le terrain d’une vie accidentée, sans un instant de quiétude. Pourtant à n’en pas douter, elle fût une des plus grandes figures du Jazz.

La chanteuse au Gardenia possédait un grain de voix unique, capable de mettre en relief la moindre bluette traitant d’amour ou même des standards mille fois repris auxquels sa simple interprétation pouvait redonner de l’éclat. Et des chansons traitant de passion, elle en chanta beaucoup…

Mais on ne peut la limiter à cela car la demoiselle possédait aussi un vrai sens du combat, comme ce « Strange Fruit » emprunté du poème d’Abel Meeropol qu’elle chanta pour la première fois en 1939. Une allégorie de la violence du lynchage des noirs américains dans un pays marqué au fer rouge de la ségrégation raciale. Un texte extrêmement fort que la chanteuse imposa au répertoire par son talent d’interprétation.

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Imaginez bien qu’à cette époque particulièrement, il n’était pas si aisé de réussir à séduire l’auditoire des « night-clubs » (habitué aux chansons légères) avec des paroles qui confrontaient chacun des spectateurs à la brutalité et aux aberrations de leur société. Des absurdités que beaucoup cautionnaient, par conviction, éducation ou par faiblesse et ce, même à « Big Apple ».

La chanteuse s’est d’ailleurs fait régulièrement insulter pour l’avoir interprété à ses début, voire malmenée physiquement par des clients furieux. Même le très reconnu « Time Magazine » parlait alors de « propagande » pour qualifier la chanson. Un comble.

Bien après le mouvement des droits civiques américains au coeur des 60’s, les programmateurs radio hésitaient encore à intégrer cette chanson à leurs émissions, la jugeant dérangeante pour leur auditoire habitué à des standards bien plus « softs ». Peu d’entre eux s’y risquaient alors imaginez la réaction des patrons de clubs dans les années 40 quand ils la voyaient apparaître dans la tracklist que devait chanter chez eux Mrs Holiday. Il fallait du courage (en pleine conscience de cause, comme le démontre Angela Davis dans son excellent ouvrage « Blues Legacies and Black Feminism ») pour imposer un message politique si fort dans une société aux idées majoritairement à contre courant, marqué de l’injustice, où la ségrégation raciale était légalisée, alors que son gagne pain et sa carrière pouvaient d’un coup, d’un seul s’en trouver menacés.

Elle fit passer le titre dans une autre dimension, devenant un symbole historique et sans doute la chanson à laquelle on l’associe le plus facilement.

ella Ella Fitzgerald.

Au petit jeu des comparaisons, sorte de gimmick obligé des conversations passionnées autour de la musique et de la place des musiciens dans celle ci, ressort souvent le nom de la « Grande dame du Jazz », Ella Fitzgerald, lorsque l’on en vient à parler de celle que l’on surnommait « Lady Day ».

Sans entrer dans ce combat de Pokémons qui n’a pour moi pas lieu d’exister, une chose me frappe dans la carrière d’Ella, c’est sa progression constante en terme de chant et de technique, aidée par l’évolution des conditions d’enregistrements modernes. Cette constatation faîte, j’ai au fond de moi, comme tant d’autres sans doute, cette curiosité de m’imaginer ce qu’aurait pu être le « son » et la trajectoire d’Eleanora Fagan (le vrai nom de Billie Holiday) quelques années plus tard si elle n’avait pas été emporté si tôt ; et ce malgré ses nombreux excès qui ont peu à peu réduit ses capacités vocales à la fin de sa carrière.

Alors certes, elles étaient très différentes et c’est difficile d’en juger. L’une a irradié avant de littéralement se consumer quand la seconde a éclairé progressivement de plus en plus de coeur, progressant sans cesse au fil de l’âge. Pour autant, beaucoup de « peut être » et de regrets subsistent à mon sens tant Billie Holiday livrait son âme sur scène.

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Si pour classer un musicien, un artiste, on traçait une ligne représentant d’un coté la technique et de l’autre l’émotion, nul doute à mes yeux que « Lady Day » serait dans les extrêmes de cette dernière.

Bien évidemment elle possédait maîtrise et habileté vocale, et notamment un sens du rythme et du placement assez bluffant (le fameux afterbit par exemple), mais ce qui la détache de beaucoup d’autres c’est cette tristesse omniprésente que l’on peut ressentir dans chacun de ses phrasés musicaux, un chant intimiste, intérieur, profond.

Une personnalité sombre qui donnait à ses interprétations une intensité incroyable. Que ce soit dans des « torch-songs », des chansons sentimentales assez tristes et le plus souvent à propos d’un amour non partagé, ou dans des paroles plus engagées, ce son Blues indissociable de sa voix donnait une dimension phénoménale à ses titres.

Reste un héritage considérable, source d’inspiration pour de nombreux artistes de Nina Simone à Macy Gray.

Discographie selective

asailboat A Sailboat in the moonlight (1937)**

holiday Me, myself & I (1937)**

ole That ole devil called love (1944)***

goodmorning Good morning heartache (1946)**

velvet mood Velvet Mood (1956)***

lady sings Lady Sings the Blues (1956, Verve/Universal)***

body and soul Body and Soul (1957, Verve/Universal)***

songs for distingue Songs for Distingué Lovers (1957, Verve/Universal)***

lady in satin Lady in Satin (1958, Columbia/Sony)***

Artistes du même genre ou de la même époque : Betty Carter, Shirley Horn, Bessie Smith, Ella Fitzgerald, Carmen McRae, Etta James.

« Trob« .

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