D’abord connu en Angleterre sous le nom 3D pour ses fresques hip-hop, Robert Del Naja l’a été ensuite comme leader du groupe Massive Attack qui révolutionna le monde musical des années 1990. Aujourd’hui, il est aussi un activiste social et politique.
Musiculture : Bonjour 3D, vous maintenez toujours ne pas être l’artiste Banksy ?
M : Vous avez passé du temps dans la rue à peindre dans la clandestinité. C’était à Bristol dans les années 1980. Aujourd’hui, vous venez de créer une structure dans la même ville issue directement de cette culture. Pourquoi ?
3D : Parce que la culture hip-hop était une contre-culture quand elle est arrivée, la traduction d’une méfiance envers ce qu’était la culture à cette époque. Elle s’est forgée sa propre identité, authentique, un peu comme l’avaient fait les punks mais avec la technologie en plus. Elle a redéfini la technologie avec les samplers, les drums machines…Elle a même réinventé le concept de scène, de concert avec des fêtes improvisées et des concerts au pied levé. Cela a abouti ensuite sur les raves party. Tout vient du hip-hop et de la culture des sound-systems jamaïcains. Pas besoin des clubs ou des bars branchés. Faire quelque chose de différent, toujours…
M : Que pensez-vous du monde de l’art comparé à celui de la musique ?
3D : Il a toujours été un marché de produits et même les galeries soi-disant alternatives étaient obsédées par l’argent. Au début, nombreuses étaient les personnes avec les bons conseils du genre : « ça va être bon pour toi ici, ok ». La manipulation. J’ai vite pensé : « fuck ce système ».
La galerie Lazarides a été la seule à présenter mes œuvres et quand je l’ai quitté, ça a été pour la plateforme DIY qui vend des œuvres d’art avec le non-profit pour devise. Sur les dernières années, mon équipe est composée de deux personnes : moi et mon imprimeur. Nous avons généré 1 million de livres-sterling que nous avons distribué à des œuvres non-gouvernementale investies dans la lutte contre la faim, l’Ukraine et la Palestine.
Pour en revenir à ta première question, les rumeurs affirmant que je suis Banksy ont suscité un réel intérêt pour mon travail et j’ai fermé la porte à tout, pouvant m’auto-financer et investir où bon me semble. Je peux voir les bons et mauvais côtés du mécénat. On n’est pas très éloigné du rôle des labels en musique. En théorie, ils sont là pour t’aider à développer tes compétences, te donner du temps pour que ton style arrive à maturité. Dans la réalité, c’est très différent. Ils te donnent peu mais te prennent beaucoup.
M : Vous avez fait allusion à votre activisme pour la Palestine, l’Ukraine, l’accès à une bonne alimentation. Dernièrement, à des concerts de Massive, vous avez baissé au maximum du maximum votre empreinte carbone. Qu’est-ce qui motive votre activisme ?
3D : Dès nos premiers concerts, nous avons rencontré beaucoup de monde. Je me souviens de ma rencontre avec les mecs de Greenpeace. Nous étions en Nouvelle-Zélande. Ils nous ont montrés où leur bateau Rainbow Warriors avait été attaqué par le gouvernement français. Nous étions déjà en contact avec de vrais activistes pour le climat. Puis, à la sortie de Blue Lines, c’était l’époque de la guerre du Golf puis de celle des Balkans…Nous étions très concentrés sur notre musique mais aussi très conscients que nos cultures devaient affronter ces réalités. Nous étions un peu gênés par ce que nous vivions en comparaison de notre sens du devoir. Comment lier les deux ? La rencontre avec des activistes anti-guerre, avec ceux qui voulaient redéfinir le capitalisme pour qu’il profite à tout le monde pour plus de justice…Tout cela me motive. Et les solutions ne sont parfois pas si compliquées.
Le projet pour le climat que nous avons lancé en 2018 a été initié par un ami activiste, Mark Donne. Nous avons lu les conclusions de la conférence internationale sur le climat de 2018. Deux ans plus tard, nous avons pris les choses en mains contre l’inaction totale des pays partout sur la planète. Et c’est là que nous avons réalisé qu’il nous était impossible de continuer à donner des concerts sans en tenir compte. Nous ne pouvions pas continuer comme si rien ne se passait. Nous sommes devenus un peu plus sérieux. Nous étions des témoins. Nous sommes allés à Jérusalem et Bethlehem voir par nous-mêmes.
M : Ces messages sont devenus partie intégrante de vos concerts de plus en plus élaborés.
3D : Nos concerts sont une magnifique opportunité pour transmettre des messages. La différence entre les messages des réseaux sociaux et le traitement de l’actualité par les médias est devenue une vraie frustration pour nous. Nous devions agir par nous-mêmes. Mais du coup, nous devenons aussi comme ceux que nous combattons car nous faisons aussi des choix éditoriaux qui vont devenir source d’influence. Nous sommes un petit et curieux groupe d’activistes, récupéré par personne. Cela rend le financement des projets plus difficile. Trouver des partenaires est chose ardue en raison de nos idées politiques. Chaque concert de Massive Attack donné face à des millions de personnes est la traduction de notre colère, de notre méfiance, de notre frustration face à l’échec des politiques internationales pour empêcher les génocides.
M : Et la musique dans tout ça ?
3D : Nous devrions sortir des nouveaux titres à la fin de cette année ou dans la première moitié de 2026…Nous tournerons davantage. Nous avons réduit notre emprunte carbone de 27% l’année dernière et nous pouvons faire plus. Nous allons continuer à mettre nos idées dans nos concerts. Nous sommes une entité qui vit et grossit encore.



