Beaucoup est dit sur la culture hip-hop depuis plusieurs années, souvent en mal. On entend même des soi-disant adeptes de cette culture cracher un peu dessus. S’il est vrai que la production d’albums rap connait un sérieux ralentissement, et ce n’est pas forcement un mal, le rap est toujours là, puissant, créatif.
Nous allons nous attarder sur le rapprochement entre jazz et hip-hop, deux cultures et deux musiques finalement très proches dans leurs origines et dans leur conception. L’adn du jazz, c’est la liberté, la créativité, l’audace mais aussi le respect et la compréhension de l’autre avec un certain esprit rebel. Même chose pour le rap. Le rapprochement ne date pas d’hier. Il a commencé dans les années 90 et s’est perpétué depuis. Les rappers l’ont utilisé soit dans dans des samples soit en le jouant « live » dès le début des années 90 (Gangstarr, A Tribe Called Quest, Digable Planet…) et les jazzmen ont aussi intégré des rappers à leurs compositions (Donald Byrd, Herbie Hancock, Stanley Clarke…). Cette fusion est à mon avis la forme la plus intéressante de rap.
Jusqu’en 1990, le rap est exclusif. C’est l’arrivée des new-yorkais Gangstarr qui lance le phénomène. La puissante et charismatique voix de guru se prête à merveille aux deux genres. Il en va de même pour celle de Q-tip du groupe A Tribe Called Quest. Leur album « Low End Theory » est un modèle du genre. L’approche des digable Planet ou de Dream Warriors sera plus expérimentale, différente mais tout aussi puissante. C’est aussi l’époque où des cinéastes comme Spike Lee exploitent cette voie, dans les B.O. de « Jungle Fever » et « Mo’Better Blues ».
Puis Guru et le trompettiste jazz Donald Byrd lancent le projet « Jazzmatazz » suivi par le « Red Hot & Cool, Stolen Moments ». Roy Hargrove suivra cette voie dix ans plus tard avec le « R.H. Factor ». Des jazzmen de renom se retrouvent en studio avec des rappers. Le genre devient la spécialité de certains producteurs. Citons ici Easy Mo Bee, beatmaker et producteur du dernier album studio du géant Miles Davis ou DJ Premier ou encore Pete Rock dont les productions flirteront toujours avec le jazz. Et surtout, les Roots, Common, Soulive, Silent Majority et Madlib, les maîtres, dignes héritiers des précurseurs que nous venons de citer. L’arrivée des Roots, au milieu des années 90 est une révolution. Ils sont les premiers à jouer « live ». Pour Madlib, c’est encore différent. Sa culture immense, il l’utilise dans la conception de ses instrus mais essentiellement grâce au sample. Le projet « Yesterday New Quintet » est l’exemple parfait.
Ensuite, nombreux sont ceux qui vont s’engouffrer dans le courant, jusqu’à aujourd’hui et pas seulement aux Etats-Unis. Je pense à nos français d’Hocus Pocus, aux Jazz Liberatorz dont ce sera l’angle dès la fin des années 90 : Un jazz joué « live » sur des rythmiques hip-hop incroyables. Puis suivront S Mos, Mattic, Slimkidd, les rappers de Montreal et les projets « Futur Sound Of Montreal », 9 In Common, entre autres. La liste est longue, preuve de la solidité et de la pérennité de ce rapprochement.
Et puis il y aura les producteurs et rappers qui seront jazzy dans le style sans utiliser de jazz. Ils seront qualifiés ainsi parce qu’ils utilisent des instruments vintage, propres au jazz, créant un rap mélodique, rythmé en lien fort avec l’esprit du jazz ou parce que leur musique est nostalgique ou parce qu’elle laisse un peu de place à l’improvisation.
La rencontre de ces deux cultures laissent des traces profondes dans l’histoire de la musique en générale et quelques classiques. La voie est encore ouverte car tout n’a pas été fait, loin de là.
Quelques classiques
No More Mr Nice Guy (1989, Wild Pitch)**
The Low End Theory (1991, Jive)***
Jazzmatazz, Vol.1 (1993, Chrysalis)***
Digable Planet Reachin’ (A New Refutation of time and space) (1993, Pendulum)**
Common Sense Resurrection (1994, Relativity)***
Red Hot & Cool : Stolen Moments (1994, Impulse)***
The Roots Do You Want More? (1995, DGC)***
Hocus Pocus Acoustic Hip-hop quintet (2002, on and on)**
R.H. Factor Hard Groove (2003, Verve)***
Soulive Turn It Out Remixed (2003, Velour Recording)**
Jazz Liberatorz Fruit Of The Past (2008, clin d’oeil)***
9 In Common Au Revoir Paris (2014, Seamsless)***